La SAP fête ses 40 ans à l’observatoire de Jolimont.
Article de Michel Esteves, président de la SAP.
Septembre 1977, ma première ascension de la tour de Tournoer (1), au 9 rue Ozenne, siège de la SAP à cette époque.
Un large et long escalier en colimaçon menait à une petite porte, sur celle-ci une modeste plaque de métal peinte en bleu :
Société d’Astronomie Populaire.
C’est là…J’avais 17 ans, c’était pour moi le moment de rencontrer enfin des observateurs du ciel. Après la porte, un autre escalier du même genre mais beaucoup plus étroit ; c’est là où les claustrophobes rebroussent chemin et retournent…à l’astronomie « livresque ».
Quant à moi, dans les trois étages supérieurs (bibliothèque, salle de réunion, coupole), j’ai découvert un univers qui m’a aspiré et dont je ne suis jamais ressorti…
A cette époque, la SAP était bien différente d’aujourd’hui, nous éditions la revue « PULSAR », fer de lance de l’association, une publication destinée à la pratique de l’astronomie reconnue dans tout le pays.
En 1973, nous avions même dépassé les 1300 abonnés! Les grands rassemblements d’amateurs, festivals, animations et observations publiques n’existaient pratiquement pas.
Le vendredi soir, une pancarte orange invitait les passants à venir observer le ciel. Pas d’internet à l’époque…
Le bouche à oreille et surtout le hasard nous amenait 7 ou 8 visiteurs les semaines de grande affluence.
Dans ces années-là, la commission des observations ou « CO » régnait sur l’association. Elle se composait essentiellement d’étudiants en sciences.
On n’y entrait pas si facilement…Au moins un an de pratique sous la tutelle des « anciens » avec vérification constante des aptitudes à l’utilisation du télescope de 180 mm d’ouverture.
Il fallait être capable de régler, de collimater et de pointer amas et nébuleuses sans faillir. L’ambiance toujours bienveillante aidait au progrès du novice. Un respectable membre de la CO devait aussi écrire au moins un article par an pour « PULSAR», l’âme de l’association.
La SAP coulait des jours, des semaines et des années tranquilles dans l’atmosphère feutrée et studieuse de sa tour hexagonale.
1981 amorce un tournant majeur: Jean-Pierre Brunet, astronome professionnel à l’Observatoire Midi-Pyrénées, devient président de la SAP.
L’observatoire de Jolimont, quant à lui, est déserté depuis quelques années…
Ces deux événements entrent alors en conjonction pour la première et dernière fois dans l’espace-temps de notre l’univers. Pour notre président fraîchement élu, c’est une évidence, la SAP doit s’implanter à Jolimont et rayonner au milieu de la nouvelle culture scientifique Toulousaine.
Abreuvés par ses discours enthousiastes, nous avons tous adhéré à ses projets.
Dans la foulée, grâce à sa position à l’OMP, Jean-Pierre Brunet obtient de ses autorités que la SAP prenne en charge l’utilisation de la coupole de la « Carte du Ciel » au beau milieu du parc de l’Observatoire. C’est là notre premier pas en terre promise. Nous voilà à pied d’œuvre aux prises avec la mécanique grippée de l’instrument et de la coupole. Comment oublier les premières images de Saturne à travers cette merveilleuse lunette? Après la pluie le soleil, c’est certain! mais après le soleil, la pluie aussi…
Tout n’est que cycle sans fin.
Voilà que le propriétaire du 9 rue Ozenne, la banque attenante à notre tour, nous fait part de son intention de récupérer les locaux que nous occupons. Le motif de notre congédiement nous surprend : nous aurions bouché les WC qui donnent sur le grand escalier (d’ailleurs commun avec deux autres organismes) ce qui leur aurait entraîné d’importants frais. Stupeur! Heureusement que les formalités administratives sont en cours pour le changement de notre siège social ! La SAP, l’OMP et la municipalité de Toulouse vont signer une convention tripartite afin que la SAP déménage et s’installe à l’Observatoire. Que serions-nous devenus sans cela ?
Nous comprenons en partie le propriétaire, il faut reconnaître que tant de banques ont fait faillite devant la facture d’un plombier! On peut en sourire maintenant mais le destin aurait pu être bien cruel envers la SAP à ce moment-là… Partir pour Jolimont, quelle aventure fantastique pour nous tous; tant de travail et de joies à venir…Quitter la tour du Tournoër, quel déchirement aussi!
Jamais plus une bibliothèque ne m’enveloppera de sa douceur apaisante et vivifiante à la fois au milieu de ces pierres médiévales. Au dessus des toits roses de la ville, le silence, la lumière dorée de fin d’après-midi m’ont imprégné à jamais. Le dernier tour de clef me coupait le souffle.
Pour l’anecdote, quelques années plus tard, j’apprends par un visiteur, descendant de la famille qui vendit la tour à la banque en question, qu’il était bien stipulé par acte notarié, que la SAP avait droit de résider au 9 rue Ozenne à durée de vie de l’association. Il en était scandalisé et prêt à faire des recherches pour que nous puissions récupérer les lieux!
Mais la page était déjà tournée.
1924-1984 : 60 années au 9 rue Ozenne qui prennent fin par un week-end automnal.
Et quel week-end!
Imaginez descendre par ces escaliers colimaçons tout ce que nous avions amassé pendant 60 ans…
Il fallait une équipe solide et surtout jeune. Quelques adhérents possesseurs de véhicules adaptés aux déménagements viennent nous prêter main-forte.
Le délabrement de nos locaux de destination loin de nous désespérer nous galvanise : au travail !
Après la réfection de la lunette de la carte du ciel, nous nous attaquons au T 83, le « Grand équatorial de Toulouse » comme on l’appelait au 19e siècle.
La coupole, fabriquée au début des années 60 et d’une conception très complexe est totalement hors-service, nous devons repenser toute la commande électrique et en imaginer une pour l’instrument lui-même.
En parallèle nous installons un tube optique de 310mm de diamètre dans la petite coupole sise sur le bâtiment principal.
Le grand intérêt de cette coupole, c’est son emplacement : au dessus de la végétation du parc, elle nous offre un horizon totalement dégagé!
Il nous faut un atelier mécanique, c’est certain. Cela se fera dans la pièce attenante à la coupole T83, qui est pour l’instant pourrissante, aux infiltrations multiples et jonchée de planches gluantes…
Dans la foulée, nous monterons aussi un labo photo et plus tard un atelier électronique.
Tout cela au prix de 10 ans de week-end consacrés à l’Observatoire, sans compter pour certains les jours de la semaine où l’on glane quelques heures pour faire avancer les choses.
1986 : le parc de l’Observatoire s’ouvre au public tous les jours de l’année comme le reste des parcs et jardins de la ville et enfin les Toulousains et Toulousaines découvrent ce joyau du 19e siècle. Les visiteurs commencent à se presser un peu plus nombreux le vendredi soir.
Un an plus tard, une nouvelle gardienne, Sylvie, prend son poste à l’Observatoire, elle ne cessera de nous aider depuis ce jour.
1990 : La coupole du Télescope de 83cm, le géant de Jolimont, s’ouvre de nouveau! Fébrilement nous redécouvrons Jupiter; le miroir est à la hauteur de nos espérances, les frères Henri, fameux opticiens de l’époque n’ont pas volé leur réputation. C’est une grande victoire : nous avons bien nous aussi, mérité notre place ici.
Il reste un point noir dans ce jardin luxuriant tant par sa végétation que par ses bâtiments : la coupole « Vitry » qui abritait à une époque l’imposante lunette de 38 cm de diamètre. Cette coupole est trop dégradée pour être réparée…L’intérieur est totalement vide. Au début des années 2000, la Ville décide de restaurer le site et de reprendre totalement la tôlerie de la coupole. Une des rares entreprises capacitaires pour ce type d’ouvrage s’y colle ;ce sera d’ailleurs le dernier chantier du chef d’atelier, « compagnon » de l’entreprise.
La coupole « Vitry » restaurée, c’est parfait! Mais qu’en faire? Y replacer un instrument de taille importante semble impossible, faute de finances suffisantes.
Pourquoi pas un petit planétarium? Il serait un idéal complément pour nos visiteurs,tant scolaires qu’adultes. Après beaucoup d’hésitations, nous présentons le projet à la municipalité qui se déclare prête à nous aider. Alors que tout semble sur les rails, une autre conjonction,totalement inenvisageable, surgit dans le ciel Sapien : Nous retrouvons par pur hasard le mythique objectif de 38cm qui équipait la lunette de la coupole!
A quelques semaines de là, le Pic du Midi nous signale qu’une vieille monture va être envoyée à la ferraille et que si nous la voulons, il suffit de venir la chercher. Une fois là-bas, totale stupeur! C’est la monture d’origine de la lunette de 38cm. Cela semble trop pour le hasard, nous y voyons un signe et montons presque religieusement avec France Wery, la présidente de l’époque, un dossier complet…
Là aussi la municipalité de Toulouse est partante ainsi que le conseil général : Va pour la reconstruction de l’instrument. Nous sommes aux anges!
2009 : Après plus de 4 ans de travail tant administratif que technique, sans oublier les angoisses financières, le maire de Toulouse, le directeur de l’OMP, le conseil général et la SAP inaugurent la nouvelle lunette. La boucle est bouclée, grâce au travail des bénévoles de la SAP et l’aide indispensable des différentes autorités et administrations, l’Observatoire de Jolimont est désormais complet.
Juillet 2024 : La petite plaque de métal peinte en bleu du 9 rue Ozenne « Société d’Astronomie Populaire », égarée lors du déménagement, vient de nous être restituée après 40 années passées à l’ombre d’une boite en carton… Les cieux continuent de veiller sur nous.
Voilà notre histoire, celle d’une association née en 1910, celle que j’ai vécue depuis 1977, bientôt un demi-siècle…
Je devais vous la raconter, le temps file et il ne reste plus personne qui ait connu la SAP en continu depuis presque 50 ans. Il est important à mon sens de savoir d’où nous venons, de garder les histoires vécues à défaut de savoir où nous allons. Le passant curieux de la rue Ozenne attiré par l’invitation de la pancarte orange a fait place à l’internaute pressé de réserver pour le vendredi suivant, il n’y a pas de place pour tous. C’est l’époque des quotas, de « jauges » admissibles pour les « Nuit des étoiles », de consignes à respecter et de vigilance accrue, plan vigipirate oblige.
Les jours de l’insouciance ont passé, ils ne reviendront pas.
Dans un célèbre film de Sam Peckinpah, Pat Garret disait à Billy : « les temps changent« , « les temps peut-être, moi pas » répondait Billy. Échange court mais profond.
Nous non plus, ne changeons pas, gardons notre flamme, celle de la soif de savoir, de l’émerveillement simple et surtout du partage de tout cela.
Tant qu’il y aura des bénévoles prêts à donner de leur temps avec passion, les associations survivront.
Notes :
(1) Tournoer : Guillaume de Tournoer, deuxième président du Parlement de Toulouse, rachète en 1528 l’hôtel du Capitoul Pierre Dahus bâti dans les années 1470. Il fera reconstruire la tour de ce bel ouvrage de la Renaissance toulousaine. L’hôtel Dahus et sa tour Tournoer sont inscrits au titre des monuments historiques.
(2) la SAP au 9 rue Ozenne : en haut du grand escalier, entrée de la SAP, escalier menant à la Bibliothèque puis à la salle commune et enfin à la coupole.
(3) groupe de jeunes : 1977 les 2 formateurs en haut : Thierry Roudier à gauche debout (qui deviendra astronome professionnel à Toulouse, retraité depuis peu) à gauche debout : Thierry Breil, étudiant en Physique.
(4) Pulsar : couverture du haut numéro 640 avec le logo de la la tour Tournoer, couverture du bas numéro 645 sans le logo.
(5) bibliothèque SAP 1980 : de gauche à droite : Franck Guillaume, Moi-même, Mr Rémongin bibliothécaire, Fernand Destilleuls, bibliothécaire adjoint.
(6) bibliothèque SAP 1981 : de gauche à droite : Mr Rémongin assis, bibliothécaire, debout, Philippe Alexandre, assis, moi-même, debout Pascal Ballester, de dos, non reconnu, debout à droite, Patrick Martinez, complètement à droite assis, Franck Guillaume.
(7) animations à la Colonne : à gauche de la lunette, moi-même…à droite le barbu, Christian Sanchez qui fut président une dizaine d’années vers 1985-1995.
(8) observations au T83 : début des années 90, à l’oculaire du T83, moi-même, au chercheur, Jean Hertrich. Dans les premières observations au T83 après rénovation par la SAP.